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Selon
Avram Galante, les Arméniens des villes
d'Eghin (de nos jours, Kemaliye), Darende,
Divrik et Arapkir, situées dans la
région où l'Arménie s'étend
vers la Cappadoce et la Cilicie, étaient
considérés comme étant
d'origine juive (1). Eghin ou Aghin signifie
oeil et source en arménien
de même que son équivalent ayin
en hébreu. Cette ressemblance phonétique
suggère d'ailleurs une origine araméenne
commune.
Connue
sous le nom de "Pacradounis",
il aurait encore existé à Eghin
dans la première moitié du 20ième
siècle, une secte judéo-arménienne
dont les membres différaient des autres
arméniens par leurs propriétés
morphologiques, ainsi que par leurs traditions.
Leur physionomie aurait ressemblé à
celle des Juifs, leur tête étant
de forme dolichocéphale. En cas de
décès, ils changeaient tout
dans la maison, n'utilisaient pas l'eau de
la maison, et s'abstenaient de travailler
pendant les sept jours de deuil.
Ces
coutumes rappellent celles des Juifs d'Orient,
qui changent en signe de deuil l'apparence
de l'intérieur de leur maison, versent
l'eau de la maison, et même celle de
leurs voisins conformément à
une croyance, selon laquelle l'Ange de la
mort lave son épée dans cette
eau après avoir égorgé
le défunt. L'observance des sept jours
de deuil est, on le sait, universelle dans
la tradition juive.
D'autres
pratiques les auraient rapprochés aussi
de la tradition juive: non-consommation de
la viande de porc; observance du repos pendant
certains samedis de l'année; prévalence
du mariage intracommunautaire; usage du vin
préparé par des membres de la
communauté.
Le nom de famille Israélian,
que Galante note appartenir à l'une
des personnes qui ont témoigné
sur l'existence de cette secte et qui l'ont
informé sur ses particularités,
mérite aussi notre attention. Israélian,
signifiant 'fils d'Israël', en langue
arménienne.
Il
est aussi rapporté que les membres
de cette secte auraient excellé dans
le commerce et les finances, tout en s'illustrant
dans les domaines de la poésie, de
la science et de l'art. Galante note que les
ruines de Pacradoun, situées
entre Divrik et Eghin existaient encore dans
la première moitié du 20ième
siècle.
L'Histoire
juive de l'Arménie
L'Arménie
est aussi nommé Amalek dans
certaines sources, et les Juifs se réfèrent
parfois aux Arméniens en tant que Amalekhites.
C'est aussi le terme byzantin utilisé
pour les nommer. Il fut probablement adopté
dans le Jossipon, chroniques de Josephus,
qui rappelle qu'Amalek fut conquise par la
tribu de Benjamin sous le règne du
Roi Saül, et note que les membres de
cette tribu furent les fondateurs du Judaïsme
arménien.
L'histoire
des Juifs d'Arménie commence probablement
avec la déportation des Juifs de la
Palestine au Kurdistan il y a 2800 ans par
le roi assyrien Salmanasar III, qui régna
de 858 à 824 av. J.-C. Selon le Talmud,
les Juifs furent autorisés par les
autorités rabbiniques à convertir
la population locale. La dynastie royale d'Adiabène,
qui avec une partie de ses sujets se convertit
au Judaïsme, appartint à cette
population. La ville d'Arbil, de nos jours,
centre d'agglomération kurde important,
fut sa capitale. Les Adiabènes furent
la seule nation qui vint au secours des Hébreux
lors du siège romain.
Le
fait que le Judaïsme fut, au commencement
du 2ième siècle, une religion
fermement établie au Kurdistan central,
est accepté par tous les historiens.
Pour certains d'entre eux, la nation kurde
descendrait de l'une des tribus perdues d'Israël.
Certaines légendes du folklore kurde
lient l'ascendance des Kurdes à Israël.
De même, plusieurs éléments
de la vie culturelle kurde et juive se ressemblent
et sont tellement entrelacés qu'ils
suggèrent la véracité
au moins partielle de cette hypothèse.
L'ancien
royaume d'Arménie atteignit son apogée
sous Tigrane II. Il envahit la Syrie et menaça
l'Etat Hasmonéen après être
arrivé à Acre. Il s'est retiré
ensuite à cause de l'attaque romaine
sur l'Arménie (69 av. J.-C.). Selon
l'historien arménien médiéval
Moïse de Khorène, Tigrane II aurait
déporté plusieurs juifs captifs
de Syrie et de Mésopotamie vers les
villes en Arménie comme Armavir et
Vardgess.
Josephus
Flavius note que les Juifs de la Judée
pris en captivité par le roi arménien
Artavazd II (55-34 av. J.-C.) furent déportés
vers la région de Van en Arménie,
quelques temps après le règne
de Tigrane.
La
province d'Adiabène dans la haute région
du Tigre fut un royaume vassal de l'Empire
Parthe durant la majorité de la période
hellénistique. Entre les années
36-60, Adiabène fut gouverné
par le Roi Izates. Durant cette période,
ce petit royaume atteignit à un tel
niveau de puissance qu'Izates restaura au
pouvoir Artaban III, le roi parthe déposé.
Cet évènement assura à
Izates la souveraineté sur le vaste
territoire de Nisibis et ses environs, ayant
comme capitale Arbil, et lui permit de jouer
un rôle important dans les luttes dynastiques
des Parthes après la mort d'Artaban.
Avant
d'accéder au trône, Izates et
sa mère Hélène se convertirent
au Judaïsme. Après cette conversion,
les souverains d'Adiabène s'empressèrent
d'établir des liens solides avec les
Juifs de Palestine. Ils furent suivis par
Monobazos II, le frère et le successeur
d'Izates, ainsi que par une partie du peuple.
Izates envoya ses fils à Jérusalem
pour apprendre l'hébreu et étudier
la Loi juive.
Les
sources talmudiques racontent qu'Hélène
posa un chandelier en or sur la porte du Sanctuaire.
Lors de sa visite en Judée, elle éleva
pendant la Fête des Tabernacles, une
grande souccah qui fut largement fréquentée
par les rabbins. Josephus rapporte que durant
sa visite à Jérusalem en 46,
la Reine Hélène subvint généreusement
aux besoins de ses habitants, qui souffraient
de la famine. Elle envoya ses agents à
Alexandrie et à Chypre pour chercher
des céréales et des figues sèches,
qui furent distribuées aux nécessiteux.
"Elle laissa une si grande renommée
qu'elle jouira de la reconnaissance éternelle
de notre peuple pour sa charité."
Egalement,
lorsque son fils Izates reçut la nouvelle
de la famine, il envoya une grande somme d'argent
aux dirigeants de Jérusalem. Quant
à son frère Monobaz, le Talmud
raconte qu'il dissipa tous ses trésors
et ceux de ses ancêtres pour secourir
Jérusalem. Il coula en or toutes les
anses des vaisselles utilisées le jour
du grand Pardon et offrit une tablette en
or au Sanctuaire.
L'attachement
des Adiabènes à Israël
fut prouvé de nouveau durant la Guerre
romaine, dans laquelle la famille royale prit
un rôle actif contre les Romains. Josephus
cite à ce propos, les noms de Monobaz
et Cenedaus, les guerriers les plus distingués
de Monobaz, Roi d'Adiabène. Plus tard,
Adiabene fut intégrée à
l'Empire romain et devint une des six provinces
de l'Assyrie.
Sous
l'égide de la dynastie parthe, qui
se souleva contre les Séleucides et
régna sur l'Arménie de la seconde
moitié du 1er siècle jusqu'à
la première moitié du 5ème
siècle, les cités arméniennes
ayant préservé leurs caractères
hellénistiques, favorisèrent
la libre circulation des peuples intégrés
dans cette culture. Ce qui permit la prospérité
des Juifs de l'Arménie. C'est vers
360-370 pendant leur déportation vers
l'Iran par le conquérant perse Shapur
II, que cette migration cessa.
Plusieurs
légendes des temps médiévaux
et des débuts des temps modernes parlent
de l'Arménie et de ses colonies de
Juifs autonomes. De même, retrouve-t-on
dans certains documents écrits des
traces d'information sur les peuplements juifs
dans l'Arménie médiévale.
L'Arménie
médiévale était composée
de principautés féodales chrétiennes,
la plupart du temps sous la domination des
puissances étrangères. Les Arméniens
adhérèrent au courant monophysite
du Christianisme, ce qui les opposait aux
prétentions de suprématie de
l'Eglise byzantine diophysite; de même,
revendiquèrent-ils une ascendance remontant
à l'ancien peuple hébreu.
L'historien
arménien Moïse de Khorène
attribue cette ascendance à la tribu
Amatuni et à la dynastie féodale
des Bagratounis de l'Arménie,
qui proclamèrent aussi être les
descendants du Roi David et de Bethsabée
et les cousins de Sainte Marie. Les Bagratounis
accédèrent au pouvoir sur les
flancs du mont Ararat où l'Arche de
Noé est supposée s'être
posée. Ils devinrent les souverains
de l'Arménie, en soumettant plusieurs
de leurs rivaux féodaux. C'est ainsi
que le Royaume arménien restauré
dura de 885 à 1045 date à laquelle
il succomba aux musulmans. Les descendants
de la branche royale restèrent en Georgie
jusqu'en 1801 et, malgré l'ambiance
chrétienne orthodoxe du territoire,
continuèrent à proclamer leur
ascendance hébraïque et à
conserver ses traditions.
La
chute du Royaume Arménien fut suivie
d'un déclin général.
Beaucoup d'Arméniens peuplèrent
la Cappadoce et la Cilicie - provinces byzantines
au Sud Est du centre de l'Asie Mineure - et
y fondèrent la Petite Arménie,
qui s'allia au Royaume Latin de Jérusalem.
C'est en 1375, date de la défaite des
Latins face aux Mameluks que la Petite Arménie
cessa d'exister.
En
1996, une découverte archéologique
remarquable a été faite en Arménie.
De nombreuses stèles funéraires
dont une partie avec une inscription en hébreu
ou en araméen, furent découvertes
à Eghegis dans la région de
Siunik au Sud-est de l'Arménie actuelle.
Datant des milieux du 13ième siècle
et 1337, elles constituent les premières
preuves concrètes de l'existence en
Arménie d'une communauté juive
antérieure aux temps modernes. Contemporaine
des communautés de Georgie, d'Iran,
d'Azerbaïdjan, du Daghestan, de la Crimée
et d'Ukraine, cette communauté dont
les membres furent parmi les notables de la
région, aurait existé jusqu'à
l'invasion mongole.
De
nos jours, la communauté juive de l'Arménie,
arrivée de Georgie, Biélorussie,
Russie et Ukraine durant le 20ième
siècle, n'a point de racines profondes
en Arménie.
Sur
les Pistes d'un Judaïsme disparu
L'Arménie,
durant les différentes périodes
de son histoire, a embrassé la Transcaucasie,
le Midi, l'Est et le Sud Est de l'Anatolie,
se superposant au Kurdistan actuel et adjacent
au Sud Est de l'Anatolie. Ce n'est que vers
la première moitié des années
500-400 av. J.-C. que le peuple arménien
a acquis son identité en tant qu'entité
ethnique et culturelle plus ou moins différenciée.
Durant l'histoire, l'Arménie et la
Judée firent partie des mêmes
empires d'Assyrie, de Babylone, de la Perse,
des Séleucides, de Rome avec Byzance,
et de l'Islam, et partagèrent leurs
influences culturelles. Bien qu'à l'instar
d'autres communautés juives, le Christianisme
ait trouvé un terrain fertile parmi
la population juive du Kurdistan et de l'Arménie
durant les 4ième et 5ième siècles,
le début du processus de disparition
des Juifs de l'Arménie en tant qu'entité
ethnique distincte remonte à 1375,
date de la ruine de la Petite Arménie
par les Mameluks.
Qu'advint-il
ensuite des Juifs de l'Arménie ? Une
grande partie d'entre eux fut absorbée
par les communautés juives du Kurdistan.
Une autre partie, selon l'exemple d'autres
communautés juives du Nord du Moyen
Orient, s'est probablement convertie au Christianisme.
Le
Jewish Encyclopedia publié entre
1901 et 1906, note que des 5.000 Juifs demeurant
dans la région, entre les villes de
Van et Mossoul, seuls, 360 auraient encore
adhéré au Judaïsme, le
reste ayant adopté la religion des
Arméniens.(2) Jusqu'aux débuts
du 20ième siècle, les citoyens
de la ville de Van au Sud Est de l'Anatolie
furent considérés comme Juifs
par les paysans locaux. D'autres historiens
se demandent si une partie des Arméniens
vivant à Eghegis, où les vestiges
d'un cimetière juif furent récemment
découverts, ne serait pas,elle aussi,d'ascendance
juive.
Les
évolutions qui auraient pu engendrer,
au fil de temps la conversion des communautés
juives au culte des Arméniens, restent
dans le vague. Pourtant, nous disposons de
certains points de repères significatifs
en ce qui concerne l'investigation du phénomène
des Pacradounis.
L'analogie
- sinon l'identité - entre les appellations
Bagratouni et Pacradouni ne
laisse place à aucun doute. Entre Bagratouni
et Pacradouni, n'existe qu'une différence
de prononciation. Pacradoun ou Bagradoun
relèvent de la même identité
étymologique, et témoignent
en même temps de la continuité
historique, territoriale et culturelle des
Bagratounis en Anatolie. Qui seraient
ces Pacradounis ? Les descendants des
Bagratounis, des Juifs d'Arménie
convertis au Christianisme, ou les deux à
la fois ?
Le
bouillonnement ethnique et culturel de ce
que fut l'Arménie plaide pour toutes
ces probabilités.
Gad
Nassi